Rencontre avec Damien Roux : la crise, et l’après…

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La crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 a changé notre quotidien. De nouvelles habitudes à prendre, peut-être même une autre façon d’appréhender nos modes de vie… Damien Roux, directeur général de Didact Hair, nous fait partager son ressenti quelques semaines après le « déconfinement ».

Didact Hair, salon Saint-Eustache

Comment as-tu réagi à l’annonce du confinement, le 15 mars dernier ?

Une quinzaine de jours avant le confinement, j’ai senti que l’apparition du virus Covid-19 allait changer notre façon de travailler. Nous avions déjà mis en place au salon des mesures barrière, pour la protection de tous, des clients et des équipes… Quand nous avons fermé samedi soir, nous étions déjà préparés psychologiquement à ce qui allait suivre. Au début, je me suis senti frustré. Quand tu as une activité qui tourne bien, c’est frustrant de l’arrêter ! Mais voilà, il faut arriver à passer outre… Il est nécessaire de mettre en place très rapidement une gestion de crise, de prendre des décisions pour définir ce que tu peux élaborer pour arrêter la machine en fait… Il ne faut pas non plus passer trop de temps à régler les coûts, il faut tout de suite les « couper ». Pour moi, en quarante-huit heures, tout était réglé. J’ai immédiatement contacté comptable, banquier…

En parallèle, comme j’avais anticipé la situation avec l’équipe, nous avons beaucoup échangé, j’ai pu rassurer mes collaborateurs, leur expliquer comment ça allait se passer… Tout cela au début du confinement. En même temps, il fallait garder le lien avec les clients, leur expliquer comment nous allions les accompagner, ce que nous pouvions leur apporter… Il a fallu de suite trouver des solutions. La cliente ne pouvait pas venir chez le coiffeur, le coiffeur ne pouvait pas aller chez la cliente, il a donc fallu faire en sorte que le salon puisse aller chez la cliente !

Comment proposer une nouvelle approche aux clientes  ?

En conceptualisant des services sur lesquels nous avions réfléchi en amont, en leur donnant des conseils. Nous étions prêts. Dans la continuité de nos « menus » comme les Comptoirs du soin, du blond, des franges, des cheveux longs, ou encore le comptoir du mâle ou la minute blonde, nous avons créé la Home Color Box, avec un système d’abonnement. L’idée ? Amener la couleur chez les clientes ! De la couleur végétale, d’éclaircissement, du ton sur ton, ou encore de la permanente… Avec le système d’abonnement, les clientes reçoivent tous les mois leur couleur à la maison, faite 100% sur mesure par le coloriste et livrée chez la cliente partout en France. Après une prise de rendez-vous pour une consultation – digitale durant le confinement –, les clientes qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas venir en salon reçoivent leur couleur chez elles, chaque mois. On le sait, après le « déconfinement », certaines clientes ont peur de venir en salon, certaines malheureusement vont perdre leur emploi, d’autres vont épargner et donc prendre rendez-vous moins souvent… Et ce système que nous avons mis en place peut répondre à cette situation. L’idée, c’est de proposer ce service à un prix qui soit situé entre le prix d’un kit incomplet qu’elles peuvent trouver en grande surface et le prix d’une prestation en salon.

As-tu noté des changements de comportement de la part des clients ?

Il est clair que les modèles d’avant ne seront plus les modèles de demain. Il y a vraiment des choses à réinventer autour de ça. Ce qui ne changera pas, c’est que les clientes viendront en salon pour un événement, une coupe, ou encore pour le blond…, pour se faire plaisir, dépenser sans compter. Mais dès qu’il sera question d’un service récurrent comme la couleur ou encore la coupe homme, je pense que les visites vont s’espacer. Il faut donc pouvoir résoudre cette problématique.

Au début de cette crise, les gens étaient un peu mal à l’aise de l’aspect négligé de leurs cheveux. Progressivement, on a pu constater qu’ils étaient plus à l’aise… Les femmes acceptaient mieux les racines qui apparaissaient, les hommes étaient moins gênés d’avoir les cheveux qui touchaient un peu les oreilles ou la nuque un peu longue. Du coup, ça a permis aussi à beaucoup d’hommes de se laisser pousser les cheveux. Je pense d’ailleurs que la situation doit être très difficile pour les barbiers aussi !

Quel est l’impact économique après deux mois d’arrêt d’activité ?

Globalement, le confinement a coûté aux salons de coiffure en moyenne 40 % de leur chiffre d’affaires habituel. Si on enlève les salaires qui représentent à peu près  50 % du CA habituel, mais qui étaient pris en charge par l’État dans le cadre des mesures de chômage partiel, les achats de produits, toutes les charges qui sont liées à l’activité – les loyers, les assurances et les emprunts, l’eau, l’électricité… –, tout cela pèse en général pour 40 % du CA. L’effet un peu pervers, c’est que grâce aux reports de charges et autres mesures d’aide aux entreprises, on ne perd pas 40 % de son chiffre d’affaires, mais plutôt 20 % et, du coup, on ne se rend vraiment compte des impacts financiers alors qu’après ces reports de paiements, il faudrait faire 120 % de son chiffre d’affaires habituel après la crise, alors que les conditions sanitaires ne permettent de faire que 80 % du business habituel. La fermeture a donc entraîné une grave crise économique, mais elle perdurera  pour la suite !

Didact Hair, salon Saint-Sulpice

Quel est ton ressenti de cette période ?

En fait, je ressens beaucoup d’excitation ! Cette période a été un révélateur ! Il existe trois types de dirigeants, et chacun peut se reconnaître dans l’un d’eux. Tout d’abord, celui qui ne fait rien, et qui attend de reprendre son activité comme avant, sans réagir ou s’adapter. Il a peur, est tétanisé. Le deuxième profil est celui qui fuit, se « victimise », et rejette la faute sur les autres… Il ne cherche pas de solution au problème économique, baisse les bras et alors, oui, son activité est en danger. Or, quand on monte une entreprise, la seule certitude qu’on doit avoir, c’est que rien n’est jamais sûr ! Si tu es salarié, tu peux te dire que si tu perds ton job, tu toucheras le chômage, mais quand tu entreprends, tu dois prendre tes responsabilités et des risques, tu le savais d’avance.

Enfin, le troisième type de dirigeant, lui, va se retrousser les manches, il a conscience que cette crise est un défi, le moment de décider de nouvelles choses, de nouvelles actions… C’est très difficile, d’accord. Et maintenant ? On décide donc d’agir, de se réinventer.

Comment cela se traduit-il ?

Comme je le disais, on doit proposer aux clients de nouvelles propositions et miser sur ce que j’appelle « l’accélération des équipes ». Pour les salariés les plus récents au salon, il faut envisager une accélération de carrière, c’est extrêmement important, il faut remettre encore plus l’attention sur le collectif et montrer qu’ensemble, on sera extrêmement forts !

Une grosse crise comme celle-là soude énormément l’équipe. Il faut un très gros leadership, j’appelle même ça du « fathership » ou du papa-leadership ! Parce qu’il faut bien insister sur le fait que cette crise a chamboulé beaucoup de personnes. Cela signifie que non seulement tu vas être leader dans la carrière du jeune, mais que tu vas aussi l’aider sur le plan de son développement personnel.

Il faut se réinventer, dis-tu… Alors que penses-tu des formations en e-learning ?

Elles font partie de l’avenir. Nous, coiffeurs, nous sommes un peu réticents au changement. Nous sommes des artisans, nous travaillons avec nos mains. On n’aime pas trop le digital en général, du coup, on ne s’en préoccupe pas. Mais là, face à cette situation, les formateurs sont obligés de se réinventer ! Et c’est une très bonne chose. Cependant, il faut être bien conscients que les formations de ce type sont vendues moins cher que les formations habituelles. Il est donc nécessaire de revoir le business model et, pour compenser, il faut accueillir plus de monde. La difficulté, c’est d’attirer du monde en digital.

Comment se sont comportées tes équipes ?

Cette crise a été un moment crucial pendant lequel certains se sont révélés ! C’est aussi en période de crise que l’on peut mesurer les qualités de leadership. Et de mon point de vue trois types de profils ont émergé. Tout d’abord, celui que l’on considérait comme un leader, et qui finalement s’est avéré moins combatif qu’on ne pensait. Puis ceux qui vont tout saboter, ce sont les pires. Ils sont négatifs, et découragent leur entourage… Et enfin,  il y a ceux, plutôt discrets en temps habituel, qui se révèlent ! Ils sont les premiers à t’appeler, à demander si la boîte va bien, comment s’organiser… Ils te proposent de travailler plus, d’aider ceux qui ont des difficultés… Cette situation inédite a été un révélateur pour beaucoup.