Loi contre la discrimination capillaire : un pas vers la coiffure de demain ?

Taille du texte: A A A

« Je suis heureuse et nous l’étions tous en sortant de l’Assemblée nationale. Cette loi prouve que les choses évoluent. Que la France évolue. Le visage de notre pays change et l’appareil législatif doit être en accord avec ce qui se passe dans la société. Cette loi est en phase avec cette nouvelle France et avec le quotidien des Français », nous confie Ghana Elin, fondatrice des Ateliers Crépus, euphorique, ce jeudi 28 mars, quelques heures après le vote du texte porté par le député guadeloupéen, Olivier Serva (Liberté, indépendants, Outre-mer et territoires, Guadeloupe), visant à reconnaître et sanctionner les discriminations capillaires. Adopté à 44 voix contre 2…

« En France, la discrimination reposant sur l’apparence physique est déjà punie en théorie », a rappelé le député Serva. « Mais de la théorie à la réalité il y a un gouffre », a-t-il poursuivi, avant d’évoquer l’exemple des femmes noires qui se sentent obligées de se lisser les cheveux pour un entretien d’embauche, les personnes rousses victimes de préjugés ou les hommes chauves.

Parmi les exemples cités également, les blondes qui se teignent en brune pour espérer accéder à un poste à responsabilité, le cas d’un steward à qui on interdit de porter des tresses africaines chez Air France ou encore celui d’Édouard Philippe obligé de s’expliquer sur son alopécie.

Parmi les personnalités qui ont contribué, depuis un an, à l’élaboration de ce texte avec le député Serva, Kelly Massol, fondatrice des Secrets de Loly, une gamme de soins capillaires dédiée aux cheveux texturés et jury de l’émission Qui veut être mon associé ? sur M6… « C’est enthousiasmant de voir que les choses prennent leur place petit à petit. Même si avec Les Secrets de Loly, nous savons qu’il y a une réelle attente des femmes. La marque existe depuis quinze ans, nous sommes 42 collaborateurs dans l’entreprise, avec une gamme de 18 produits vendus dans 3500 points de vente et une croissance de 500 % entre 2019 et 2022. Cette loi a sa place dans l’intérêt de nos clientes et de toute la France ! Une marque comme la nôtre vend 1 million de Boost Curl et notre CA annuel dépasse 20 millions d’euros… On ne peut pas penser que les gens ne sont pas concernés. La bonne nouvelle, c’est qu’avec cette loi, qui apporte un cadre, les gens pourront porter leurs cheveux naturels sans être stigmatisés ! », précise-t-elle.

« Quand il y a un cadre, quand elle est décrite dans un texte de loi, la discrimination peut être nommée et on va pouvoir protéger les gens concernés. Ils ne seront plus obligés de rentrer dans un moule esthétique… Totalement inapproprié », poursuit-elle avant de déplorer le retard du monde de la coiffure sur le sujet des cheveux texturés, notamment dans la cadre de l’éducation, en formation initiale comme continue.

Depuis plusieurs années, Biblond a tenté de donner la parole à ces femmes et ces hommes qui œuvrent pour que chaque client puisse être reçu dans n’importe quel salon, quelle que soit sa texture de cheveux. Aujourd’hui, cette loi contre la discrimination capillaire va marquer un tournant dans la profession. « En effet, les professionnels de la coiffure vont comprendre qu’ils doivent se former pour répondre à la demande des consommateurs qui vont pouvoir porter leurs cheveux au naturel. Les accompagner au quotidien… C’est un nouveau souffle pour le métier de coiffeur. Une nouvelle relation va pouvoir se nouer. Ils vont pouvoir, en se formant, se réconcilier avec une partie de la clientèle. Ils doivent être prêts à lui ouvrir la porte. C’est aussi un nouveau soufflé pour le marché en général », souligne Kelly Massol. 

Comme elle, Ghana Elin avait été conviée à une table ronde pour parler de l’impact que pourrait avoir cette loi sur le monde de la coiffure. « Cela va forcément inclure de revoir les programmes de formation. Je suis d’ailleurs invitée par Christophe Doré de l’Unec pour en discuter au mois de mai. Comment intégrer le cheveu crépu dans le CAP ? Dans la formation en général ? Comment permettre aux coiffeurs d’être plus opérationnels ? Comment faire évoluer les programmes ? Ce sont toutes ces questions que soulèvent le vote de cette loi », précise la fondatrice des Ateliers Crépus, qui avait lancé en septembre une campagne choc : « On a tous un ami noir qui galère avec ses cheveux », un manifesto doublé d’une pétition qui a recueilli aujourd’hui 1 300 signatures (pour la signer, cliquez ici).

« Nous devons donner les clés aux coiffeurs pour accueillir tous types de cheveux. Ils n’auront désormais plus le droit de refuser un client du fait de sa texture de cheveux. Cela doit donc pousser les institutions éducatives à inclure tous les cheveux dans les programmes. Désormais, il nous faut les financements pour mettre cela en place », poursuit-elle. La tâche peut sembler ardue, mais Ghana est très optimiste, pleine d’envie et d’enthousiasme. « Je constate, avec cette loi, que tout le monde est prêt ! Le marché, bien sûr, mais désormais aussi les politiques. C’est devenu un débat de société », affirme-t-elle, avant de rappeler que récemment, elle a formé la Comédie-Française. « Cela prouve, encore une fois, que les institutions sont prêtes. Le coiffeur de la Comédie-Française peut désormais s’occuper des acteurs aux cheveux crépus », se réjouit-elle.

Ghana Elin insiste sur le fait que le député Olivier Serva a voulu mettre l’accent sur une discrimination physique et non raciale. « Il a d’ailleurs demandé que les amendements qui voulaient faire passer cette loi dans le spectre de discrimination raciale soient retirés. Il a communiqué de manière très rigoureuse et pragmatique. Il n’était pas dans une démarche militante. Agrémenté de nombreux exemples concrets, de témoignages et de chiffres, le débat avait du sens. Et désormais, grâce à ce cadre juridique, les magistrats auront plus de matière pour trancher », conclut-elle.

Catégories: Actualités