Quand coiffure et architecture s’emmêlent

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Architecte, coiffeur… Rien ne semble unir ces deux métiers. Pourtant, en s’y attardant, des analogies sont évidentes. Dans l’approche de la matière, la sémantique, comme dans la pratique des deux disciplines, la corrélation peut être établie. Décryptage…

Et Vidal Sassoon découvrit le Bauhaus… La coiffure et l’architecture pourraient-elles influer l’une sur l’autre ? Vidal Sassoon, coiffeur star des sixties, a franchi le pas. Pour créer son style, il s’inspire du Bauhaus, courant artistique allemand du début du XXe siècle.

« En coiffure, le XXe siècle se caractérise par une prise de liberté, et Vidal Sassoon, inspiré par le Bauhaus, a produit un impact sans précédent en ce sens », explique Cristina Matei, étudiante à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville et auteure d’un mémoire sur le sujet. Son intuition : dire qu’il existe un lien temporel entre coiffure et architecture, que chaque matière exprime une même tendance propre à la société à laquelle elle se réfère. « Par exemple, à l’époque Baroque, l’architecture se compose de fioritures, de détails, de courbes. Parallèlement, les coiffures s’organisent de manière complexe et avec boucles. »

Le rapprochement historique reste difficile à prouver. Mais le pont établi entre Sassoon et le courant architectural et artistique allemand Bauhaus est assumé par le coiffeur lui-même.

Retour en arrière

Les coiffures étaient réalisées avec sophistication. Quasi impossible pour une femme de se coiffer seule. Ce soin exigeait temps et argent. Avec les bouleversements des deux guerres mondiales, les choses évoluent. Exemple, Coco Chanel et la mode de la coupe à la garçonne. Mais les coiffures restent l’exclusivité des classes privilégiées.

Pour un changement de grande ampleur, il faut attendre les années 1960 et les mouvements pour les droits des
femmes. « Sassoon voulait participer à ce changement, mais ne savait pas comment. Il a trouvé des réponses avec le Bauhaus », explique Cristina Matei. Ce courant des années 1920 défend un art adapté à la civilisation
industrielle et associe le côté pratique et artisanal à des  aspects esthétiques.

Comment Sassoon relie-t-il ces notions à la coiffure ? « Déjà, Sassoon se rend compte qu’en architecture le contexte urbain, le paysage où se construit le bâtiment impacte sur la structure même de l’édifice. Par analogie, il décide d’adapter la coiffure à chaque individu en fonction de ses caractéristiques. » Plus question de reproduire une coupe indifféremment de la personne qui la porte.

« D’autres coiffeurs s’inspirent de cette théorie, axée sur la liberté des cheveux, souligne Cristina Matei. Alors que j’analysais les coupes de Walter Armano, styliste chez Toni&Guy, le coiffeur m’expliquait que tout se décide en fonction de la physionomie, des os des épaules et du cou. Chez Sassoon, une coupe géométrique comme la five point se réalise en fonction des traits du visage. »

Structure naturelle

Autre critère inspiré du Bauhaus : le respect de la structure naturelle des cheveux. En observant le Bauhaus, le coiffeur a vu la simplicité de l’architecture moderne, libérée des éléments décoratifs. Il a voulu que la coiffure s’adapte à la façon dont la chevelure tombe autour de la tête. De manière à ce que cela tienne seul, sans artifice. C’est le wash and wear : « laver et porter ».

Pour la partie plus technique, l’influence du courant allemand se traduit chez Sassoon par les formes géométriques de ses coupes. « Le Bauhaus se tourne vers trois formes essentielles, indique Cristina Matei. Le triangle, le cercle et le rectangle. » De même, Sassoon réfléchit à composer des coupes à partir de ces formes-là. Une idée reprise par d’autres coiffeurs. « Comme Walter Armano, précise l’étudiante. Sa collection Urbain Tribute se fonde sur ce type de formes simples. »

Patricia Rameau / L’invitée de la rédac’ :

J’ai beaucoup de clients architectes avec lesquels j’aime échanger. Nous évoluons dans un univers de formes. Nos métiers ont besoin d’une vision 3D, de géométrie dans l’espace, indispensable à la réalisation de formes et de volumes. Nous pouvons comparer les fondations d’un bâtiment à celles d’une coupe et la décoration à la texturation du cheveu pour donner des effets, du mouvement.

L’architecte, comme le coiffeur, se doit d’être à l’écoute du client pour en comprendre les attentes : longueur, forme, angles, matière, asymétries, couleur… Un bon architecte trace le contour d’une ville, un bon coiffeur le contour d’un visage, pour en faire ressortir toute la beauté et la personnalité.

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