Juniors, seniors, coloristes, coupeurs, barbiers, coiffeurs studio, patrons, managers… Nos ambassadeurs représentent un joli pêle-mêle des acteurs de la coiffure. C’est pour cela que nous avons voulu les interroger sur des sujets divers et variés, chers à la profession. Léna Lepetit, du salon Excel Coiffure Le Triangle à Montpellier, et Antoine Renson, à la tête de son salon au sein de l’hôtel Avancher, à Val-d’Isère, tenaient à intervenir sur un thème qui les touche, la discrimination physique, chacun ayant vécu des situations de « lookisme » – un néologisme qui désigne la création de stéréotypes et les discriminations pour cause d’apparence physique.
Certes, la coiffure est un métier d’image. Mais elle doit laisser la place à la différence et à l’affirmation de soi. C’était d’ailleurs à une célébration de la beauté indomptée et des métamorphoses radicales que nous avait invités le duo formé par Léna et Antoine, sur scène avec The Ritual Show au MCB by BS à Paris, dimanche 14 septembre. Ils avaient uni leur univers à la fois sombre et artistique autour d’une transformation de muses à l’état brut. Promesse d’une expérience unique, ce show avait repoussé les limites du conventionnel.
Pourquoi avoir voulu vous exprimer sur le lookisme et la discrimination selon l’apparence physique ?
Léna : Parce que cela peut toucher tout le monde. Et que cela m’a touchée de près. Quand j’ai commencé, il y a dix-sept ans, je vivais dans une petite ville, Tarbes. En sortant de mon BP, je me suis teinte en rose. Et je suis restée six mois au chômage ! Aucun salon ne voulait m’embaucher. Sauf si j’acceptais de changer de couleur de cheveux. J’ai refusé de changer mon identité. J’ai toujours eu un style marqué. Mes parents l’ont toujours accepté et ne m’ont jamais rien dit. Alors pourquoi aurais-je du changer pour pratiquer un métier qui, de surcroît, est un métier artistique ? J’ai finalement trouvé un emploi dans une chaîne de salon. Qui l’eût cru ?
Antoine : J’ai moi aussi vécu ce genre de discrimination par rapport à mon style. Notamment à l’école. Mes professeurs me suggéraient de délaisser mon style personnel pour adopter celui des garçons de ma classe, en slim blanc, chemise et cheveux courts décolorés. Les personnes qui transmettent le métier ne devraient pas nous faire ce genre de discours. Comment s’épanouir personnellement et professionnellement si on ne peut être soi ? J’ai préféré privilégier les valeurs morales pour progresser, plutôt que d’essayer d’entrer dans le moule que l’école voulait m’imposer.
Ces préjugés sur l’apparence, vous les avez beaucoup vécus lors de votre carrière ?
Léna : J’ai entendu des paroles très dures d’anciens patrons vis-à-vis de personnes fortes ou en surpoids. Ils refusaient de les embaucher. Parce que les clients ne veulent pas être coiffés par des « gros », disaient-ils, mais par des personnes au physique avantageux. J’ai entendu des réflexions méchantes, aussi bien de femmes que d’hommes. À l’inverse, on m’a aussi demandé de relooker une fille au look trop lisse !
Antoine : Pour ma part, j’ai eu la chance de tomber sur un patron qui m’a poussé à être qui je suis, dès le BP. Que je porte des tee-shirts de musique, des cheveux longs noirs et du vernis à ongle ne lui posait aucun problème tant que j’étais propre et que je faisais bien mon travail. Mais dans ma classe, j’avais une copine obèse. Elle a passé son CAP dans un village avec succès. Elle était brillante ! Quand ses parents ont déménagé pour une grande ville, elle n’a jamais réussi à trouver de salon pour faire son BP. On lui disait clairement qu’elle était trop grosse et que dans ce métier, il fallait faire rêver. Quand j’ai dû, à mon tour, embaucher des gens, je me suis focalisé sur les qualifications des candidats. D’ailleurs, je demande des CV sans photo.
Qu’avez-vous à dire à ces patrons qui refusent les physiques différents ?
Léna : Que leur discours est d’un autre temps ! Trop de patrons sont restés dans un encadrement à l’ancienne, selon lequel le salarié doit être à l’image du salon. On peut être tatoué, avoir plein de piercings ou un look original, cela n’empêche pas d’être compétent dans notre travail. Dans le monde du haut de gamme, on préfère les physiques lisses. Or, un coiffeur au look underground peut très bien proposer un service luxueux sur une cliente très classique. Moi-même avec mon look, je coiffe des gens venus de tous horizons, de la directrice générale d’une marque à l’étudiante en arts.
Antoine : Qu’il est temps d’évoluer. En tant que membre du jury d’examens, j’ai déjà vu des coiffeurs mettre une bonne note parce que la candidate était jolie et non pour ses compétences. Une personne au physique moins conventionnel peut être meilleure ! Jugez la qualité de la coiffure plutôt que le physique. Les clientes veulent être bien coiffées avant tout ! Quand je suis parti à l’étranger, j’ai vu des coiffeurs assumer leur style et leur physique. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut car on juge le talent et la qualification. Le France est conservatrice. C’est dramatique !
Les clients ont-ils les mêmes préjugés ?
Léna : Certains peuvent avoir peur que l’on leur fasse une coiffure à l’image de notre look. Mais en général, les nouvelles générations sont plus ouvertes. Même si, depuis que je suis à mon compte, j’ai tendance à attirer des clients qui me ressemblent. Des gens à l’esprit ouvert. Toutefois, j’ai constaté que quand on a un style différent, on a moins le droit à l’erreur. Au départ, nous devons faire nos preuves. Une fois que les clients me connaissent, tout rentre dans l’ordre.
Antoine : Je pense que quand tu as un look extravagant, tu as plus de chance d’attirer une clientèle extravagante, à ton image. Et inversement si tu es plutôt classique. Toutefois, récemment, une cliente, qui ne serait jamais venu dans mon salon en temps normal, m’a avoué avoir pris rendez-vous pour mon look. Quand elle m’a vu, elle voulait que ce soit moi qui la coiffe. C’est une reconnaissance qui me va droit au cœur. Elle est venue pour qui je suis. Et non pas parce que j’ai un look passe-partout et conventionnel.
Êtes-vous optimiste quant à l’avenir ?
Léna : La nouvelle génération est plus libre. Donc les mentalités changent. Les jeunes sont comme ils sont et ils se fichent du regard des autres. Il me semble que nous sommes à un tournant de la société. Et c’est tant mieux ! Les jeunes s’assument. La plus belle image de ce changement de mentalité ? La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Paris. Il y avait des avis très tranchés, ceux qui ont aimé et ceux qui ont détesté.
Antoine : Je suis plus mitigé. Ce qui m’ennuie, c’est qu’en France on grandit avec ces préjugés. Et ceux qui sont désormais patrons ou professeurs ont grandi avec ces préjugés qu’ils transmettent à leur tour. Toutefois, la nouvelle génération a besoin de reconnaissance. On a tellement été bridé en France que ce besoin d’identité et d’affirmation de soi me semble plus fort qu’ailleurs. Aux États-Unis, un homme qui se travestit en femme pour aller travailler en salon, ça n’est même pas un sujet. En France, on a quinze ans de retard. On colle des étiquettes en permanence.
Quels conseils donneriez-vous aux patrons ?
Léna : Ne jugez pas les coiffeurs sur leurs apparences mais sur leurs compétences. Et n’oubliez pas que la diversité dans un salon est un atout ! Cela attire davantage de clients puisqu’ils sont plus nombreux à se reconnaître et à s’identifier à l’équipe.
Antoine : Changez votre vision des choses. Ne vous cantonnez pas à votre zone de confort. N’ayez pas peur de l’inconnu et du changement !
Pour finir…
Léna : Restez comme vous êtes et n’essayez pas de vous mettre dans une case qui ne vous appartient pas. Préservez vos valeurs. Nous sommes tous différents et il y a du travail pour tout le monde.
Antoine : Je suis enchanté de faire ce show avec Léna. Nous sommes complémentaires. Nous nous sommes boostés pour trouver des marques partenaires. Cela nous a pris beaucoup de temps et d’énergie. Elle a dit « oui » tout de suite. Alors j’ai juste envie de lui dire « merci » d’oser fait ça avec moi. Car, certains coiffeurs n’ont pas compris comment, moi, avec mon look particulier, j’ai réussi à avoir ma place dans le programme…
Biblond, pour les coiffeurs !







