La coiffure service à la minute

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C’est un peu comme si nos vies étaient désormais branchées sur un câble ADSL. Que ce soit au travail ou dans la vie privée, tout doit désormais aller vite, très vite.

Tout doit être fait pour maximiser l’usage de nos précieuses minutes. Et comme ces dernières se font rares, nous avons une idée de plus en plus précise de ce que nous voulons… et nous l’exigeons illico presto !

Dans ce monde d’ultrastressés, les salons de coiffure faisaient encore office de havres de paix, où le coiffeur prenait en main la chevelure de la cliente et faisait tout pour qu’elle passe un vrai, bon, long moment. La cliente en arrivait même à couper son portable,
oublier ses contraintes habituelles et se laissait aller à se faire belle.

Ces temps où l’on prenait « son temps » semblent désormais révolus. Aujourd’hui, les salons de coiffure n’échappent plus au chronomètre. Les clients n’ont plus le temps ? Le coiffeur se met au diapason pour les satisfaire. Prestations à la carte et hyperciblées, coupes effectuées en des temps records, rationalisation du temps des collaborateurs… Bienvenue dans l’ère du « fast coiff » où la coiffure se consommerait comme au fast-food !

Surprise ? Pas vraiment. Qui peut encore se permettre de passer deux heures trente devant la glace ? Cette tendance avait déjà pointée son nez dans le monde de l’esthétique : les enseignes proposant des épilations minute et sans rendez-vous se sont ainsi multipliées. Ces dernières années, on a vu fleurir un peu partout des bars à sourcils, des bars à make-up, jusqu’aux bars à sourires (spécialisés dans le blanchiment des dents).

On a également vu se développer des nails bars, comme ceux de la marque OPI ou de Sephora, qui proposent des poses de vernis, des manucures complètes et des poses de faux ongles, sans réservation préalable. Autant de domaines où le « va-vite » est normalement proscrit.

La coiffure n’échappe pas à cette mode. Et, en la matière, l’exemple est venu des pays étrangers. C’est à New York – la ville qui ne dort jamais et où l’on boit son café tout en traversant la rue, un téléphone dans la main restée libre – que les premiers bars à brushing ont vu le jour. Leurs cousins anglais n’ont pas tardé à plonger dans cette mode. L’Asie n’est pas en reste. Là-bas, les salons Quick Beauty House ont connu un succès fulgurant : pour preuve, 500 salons ont ouvert en dix ans et comptent plus de 10 millions de clients par an.

Hugues de Brécourt, fondateur de Be Now, s’est directement inspiré de ce modèle pour ses comptoirs Be Now. « Lors d’un passage à Singapour, je me suis fait couper les cheveux dans une de ces échoppes et j’ai été époustouflé ! Le concept est simple : une coupe à sec, réalisée en dix minutes par des professionnels, sans rendez-vous ni temps d’attente. Leurs comptoirs se situent dans des lieux très fréquentés et le service client est d’une très grande qualité. »

Où en est-on en France ? Biblond a mené l’enquête et a découvert que cette tendance avait passé la frontière de l’Hexagone. Les bars à brushing, à chignon, à coupe expresse… sont en train de fleurir à la fois dans les centres commerciaux, où la clientèle est par nature pressée, mais également dans des salons réputés, voire de luxe. Mode éphémère ou nouveau mode de consommation ? Réel besoin de la clientèle ou surenchère de concepts ?

Pour Ben Toledano, fondateur de la chaîne Hype and Hairy, il existe une vraie demande pour ce genre de prestations. « Aujourd’hui les clientes ne veulent pas forcement passer cinquante minutes chez leur coiffeur à parler de la pluie et du beau temps. Ni se faire faire le traditionnel shampooing/coupe/brushing ou devoir prendre rendez-vous une semaine à l’avance, explique-t-il. Les clientes veulent pouvoir choisir. Il faut que pendant leur pause déjeuner, elles aient mangé, mais aussi qu’elles se soient fait coiffer et manucurer. C’est un autre rapport à la coiffure. »

Une nouvelle approche que les futurs coiffeurs semblent intégrer dès leurs formations. Tout au long du mois d’avril, les apprentis du CFA Ambroise Croizat ont accueilli les clientes des Galeries Lafayette Paris Montparnasse sur leur Beauty Corner. Bar à chignon et nail bar les recevaient sans rendez-vous. Dans une ambiance zen et raffinée, Hype and Hairy, bar de coiffure et de soins esthétiques parisien, propose des prestations rapides, sans rendez-vous. Sa recette miracle ? « Nous jouons sur l’amplitude horaire : c’est ouvert de 11h à 21h sans interruption », explique Ben Toledano.

Le bar fonctionne avec des abonnements qui permettent de bénéficier de réductions allant jusqu’à 65 % ! La formule semble fonctionner : depuis son ouverture il y a cinq mois, Hype and Hairy compte plus de 200 abonnés et son chiffre d’affaires est en croissance constante. « Nous arrivons à toucher une clientèle de femmes actives âgées de 25 à 45 ans qui n’avaient pas l’habitude de se faire brusher régulièrement. Maintenant, elles viennent plusieurs fois par semaine ! », se réjouit Ben Toledano.

« Low cost », l’expression pourrait faire peur, pourtant elle n’effraie personne quand il s’agit de prendre l’avion. C’est le parallèle que fait habilement Patrick Langer, gérant des Beauty Bubble, ces bulles de beauté où l’on peut se faire coiffer pour dix euros. « Nous sommes le EasyJet de la coiffure, explique-t-il. Tant que les gens ont un bon pilote et arrivent à destination, ils sont satisfaits… Le plateau repas et le café, ils savent très bien se l’offrir eux-mêmes. Pour la coiffure, c’est la même chose. Le shampooing, les jolis bacs ne sont pas indispensables quand on veut juste se faire couper les cheveux. »

Partant du principe que 80 % des hommes qui vont chez le coiffeur se sont douchés le matin, Patrick Langer a supprimé la case bac à shampooing de ses bulles. « Low cost ne veut pas dire de mauvaise qualité, conclut-il. Les gestes de nos coiffeurs sont presque industrialisés, ils sont sûrs, précis comme des chirurgiens. »

Il ne faut pas être naïf, cette adaptation du système de la coiffure permet également de faire entrer des gens dans les salons. Stéphane Amaru vient d’ouvrir un Long Hair Bar à Paris, réservé donc aux cheveux longs qui avaient pour – mauvaise – habitude de se contenter d’une vulgaire queue-de-cheval pour coiffure « originale » et qui se passaient donc des services d’un coiffeur.

« En ciblant ainsi le client, on sait aussi tout de suite à qui distribuer la carte du magasin dans la rue, explique le coiffeur, nous voulons faire comprendre aux clientes aux cheveux longs qu’on peut faire des choses intéressantes, contemporaines, à un prix plutôt sympa. »

« The right man at the right place », le bon homme au bon endroit… Ce ciblage clients a aussi cela de positif qu’il permet aux gens de butiner de salon en salon, un pour le chignon, un autre pour la coiffure, un troisième pour le soin. C’est dans ce secteur que les salons Ethnicia se sont principalement fait connaître. Parallèlement à son concept de « beauté globale », Ethnicia a mis en place des bars à soins, où chaque cliente, quel que soit son cheveu, trouvera une solution.

« Le bar vient à la cliente, explique Virginie Zanvo, responsable communication chez Ethnicia, notre concept est basé sur le dialogue avec la cliente, sur ce qui la gêne, la manière dont elle ressent ses cheveux… On ajoute l’expertise du coiffeur. »

En tout plus de 300 combinaisons de soins et d’infusions possibles, fournies par Wella, pour des cheveux cassants, secs, gras, ternes, etc. Car ciblage ne veut pas dire automatiquement bâclage ou stéréotype. « C’est un traitement à la demande. »

Ce bar à soins a notamment changé la vie de nombreuses clientes aux cheveux crépus, ou afro, qui étaient jusque-là « ghettoïsées » comme l’explique Virginie Zanvo.

Mais assurer des prestations « speedy gonzales », ultraciblées et de qualité nécessite de faire quelques sacrifices. Chez Hype and Hairy, on reconnaît que « ce n’est pas dans notre salon que l’on se fait faire les dernières coupes tendances » et qu’en cas d’affluence « la cliente peut être amenée à devoir patienter ». Une situation qui peut aussi se présenter chez Be Now où le temps d’attente est affiché à l’entrée du comptoir.

On pourrait trouver dommage que la coiffure se trouve réduite au simple rang de service à la minute et abandonne ainsi sa « tradition d’artisanat ». Les coiffeurs qui ont succombé à ces nouveaux modes de consommation militent pour une évolution normale du métier. « Nous sommes dans une société de consommation, explique Christophe-Nicolas Biot, fondateur d’un bar à chignon à Paris, mais nous avons des arguments de qualité basés sur notre savoir-faire. Les choses changent, il faut être dans le move, notre métier a cette sensibilité. »

« Nous faisons un métier complémentaire, définit Patrick Langer de Beauty Bubble, certains trouvent qu’on casse le métier… C’est ce qu’on disait à l’époque des supermarchés qui, aujourd’hui, sont entrés dans les habitudes. On laisse leur valeur ajoutée aux coiffeurs, on retire juste ce qui n’est pas indispensable à la coupe. Ceux qui veulent une permanente iront toujours dans leur salon traditionnel. »

À peine implantée, la tendance du fast coiff fait donc déjà grincer des dents dans le monde de la coiffure. Lors de l’opération La Parisienne des Galeries Lafayette, Alexandre de Paris a ouvert pendant trente-six heures un bar à chignons éphémère. En vingt-cinq minutes, les clientes ont pu bénéficier du savoir-faire des coiffeurs de la grande maison et repartir avec un chignon tressé, flou, façon danseuse ou banane à la « rockabilly », digne d’un travail d’orfèvre.

Si, pour l’instant, Alexandre de Paris n’exclut pas de pérenniser cette expérience au sein du salon, Michel Dervyn, propriétaire de cette marque de haute coiffure, s’insurge contre le fast coiff. « Notre opération était ponctuelle et était l’occasion pour nous d’aller à la rencontre de la cliente, de lui faire découvrir nos prestations gratuitement et d’expliquer notre métier. En aucun cas de faire du low cost ! »

Sa crainte ? Que ce mode de consommation de la coiffure entraîne un nivellement de la profession par le bas. « La coiffure est un métier d’expert : nous ne devons pas céder au service à la minute et payer pour des prestations à prix cassés ne valorise en rien notre savoir-faire. Notre métier doit se transformer, certes, mais nous devons batailler pour du travail de qualité. »

Une bataille qui ne pourra, au final, que servir les intérêts de la cliente. Et qui, fast coiff ou enseigne plus traditionnelle, verra de plus en plus les prestations coller au mieux à ses envies et ses besoins.

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